Logement accessible : le handiwashing des politiques publiques

Pierre GUENNAZ

On parle beaucoup d’inclusion, d’accessibilité et de normes respectées. Sur le papier, les politiques publiques du logement semblent répondre aux besoins des personnes en situation de handicap.


Dans la réalité, l’accès à un logement réellement habitable et financièrement soutenable reste une exception. Ce décalage n’est pas accidentel : il résulte d’un empilement de règles qui, combinées, produisent une exclusion propre, légale et invisible.


Une personne vivant avec l’Allocation aux Adultes Handicapés perçoit environ 1 030 euros par mois. Dans les faits, les commissions d’attribution appliquent un seuil largement admis : le loyer ne doit pas dépasser 30 % des revenus, soit environ 300 euros mensuels. Ce critère, présenté comme prudent, agit comme un premier filtre massif.


Parmi les logements sociaux, seuls les logements financés en PLAI proposent des loyers compatibles avec ce niveau de ressources.


Les logements PLUS dépassent fréquemment ce seuil dans les zones tendues, tandis que les logements PLS s’adressent à des ménages aux revenus bien supérieurs. Être éligible juridiquement ne signifie donc pas être en capacité réelle de se loger.

La méthode de la ségrégation douce

Aucune règle ne dit explicitement que les personnes handicapées pauvres doivent être exclues du logement neuf. La sélection s’opère autrement : par le croisement de critères présentés comme neutres.

Un logement accessible mais trop cher.

Un logement social mais non accessible.

Un logement évolutif, donc pas habitable immédiatement.

Chaque règle est défendable. Leur combinaison est redoutable.

Depuis la loi ELAN, seuls 20 % des logements neufs doivent être immédiatement accessibles.


Les 80 % restants sont qualifiés d’évolutifs, c’est-à-dire adaptables après travaux.


Pour une personne qui a besoin d’un logement accessible dès l’entrée, cette distinction n’est pas technique : elle est vitale.


Si l’on croise ces données, le résultat est sans appel. Sur 100 logements construits, environ 25 à 30 sont des logements PLAI.


Parmi eux, seuls 20 % sont accessibles immédiatement. Cela représente 5 à 6 logements réellement accessibles et financièrement compatibles avec une AAH.

Parler de logement social comme d’un domaine uniquement technique ou financier masque une réalité plus simple : le rapport de force est d’abord politique. Les bailleurs sociaux construisent et gèrent les logements, mais ils ne décident pas seuls. Leur action est étroitement conditionnée par les choix des collectivités locales, au premier rang desquelles les mairies.


Concrètement, ce sont les mairies qui maîtrisent les leviers déterminants : le foncier, les subventions, les garanties d’emprunt et la programmation via le PLH. Ces décisions structurent en amont ce qu’un bailleur peut ou ne peut pas faire.


Sans terrain accessible, sans soutien financier, sans sécurisation des prêts, un bailleur n’a d’autre option que de se tourner vers les modèles les plus rentables et les moins risqués. À l’inverse, lorsque la collectivité crée les conditions favorables, le logement très social devient possible.

Les bailleurs sociaux ne sont donc pas les véritables arbitres du logement social. Ils agissent dans un cadre fixé par les collectivités, en cherchant un équilibre économique à long terme.


Ce sont les mairies qui écrivent les règles du jeu, et ce sont ces règles qui déterminent si le logement produit sera réellement accessible ou simplement social de façade.


Attribuer la responsabilité de la situation actuelle aux seuls bailleurs revient ainsi à déplacer le débat.


La rareté du logement très social n’est pas le résultat d’une impossibilité technique, mais d’une série de choix politiques locaux, parfois assumés, parfois dissimulés derrière le discours de la contrainte.

En définitive, le logement social révèle une vérité inconfortable : en décidant des conditions de construction, les mairies décident indirectement de la population qu’elles accueillent ou qu’elles écartent. La question n’est donc pas de savoir si l’on peut faire autrement, mais si l’on accepte de regarder en face ce que produisent, concrètement, les choix municipaux actuels.

Sources

CAF – Montant de l’AAH (2025) ; ANIL – Plafonds de ressources PLAI / PLUS / PLS ; Loi ELAN – Accessibilité des logements neufs

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