La première table ronde, animée par Lara Sartiaux de l'Agence Cristal, a directement abordé une question cruciale :
quelle place pour les comédien·nes en situation de handicap dans les films et les séries ?
Cannes, le 23 mai 2025
Tandis que le Festival de Cannes célèbre les récits les plus puissants du cinéma mondial, une autre histoire, tout aussi essentielle, a pris racine cette année : celle de la lutte pour la visibilité et l'intégration des personnes en situation de handicap dans l'industrie cinématographique.
Les Écrans Inclusifs, un événement inaugural organisé en marge du Festival par le SPCH (Syndicat des Professionnels du Cinéma en situation de Handicap) et la CST, ont réuni artistes, techniciens, décideurs et institutions pour initier un changement profond et durable.
"La parole fait émerger la visibilité, et la visibilité transforme les mentalités.” Léopoldine Huyghues-Despointes
Dans cette vidéo, suivez l'intégralité des Tables Rondes
Table ronde #-1 :
Constat sur la représentation des artistes en situation de handicap visible et invisible sur nos écrans
Table ronde #2 : L’inclusion au cinéma et à la TV, quelles nouvelles armes pour remporter la bataille des écrans ?
Casser les codes : vers une représentation authentique
La première table ronde, animée par Lara Sartiaux de l'Agence Cristal, a directement abordé une question cruciale :
quelle place pour les comédien·nes en situation de handicap dans les films et les séries ?
Pour Léopoldine Huyghues-Despointes, actrice, réalisatrice et militante engagée, le défi commence dans le regard que l'on pose sur les corps et dans l'écriture même des rôles.
Son engagement, en tant qu'artiste et porte-voix dans les institutions internationales, a permis de libérer une parole trop longtemps tue, celle d'artistes souvent relégués à la marge.
Charles Peccia Galletto, applaudi pour sa performance dans Mon inséparable, a partagé son expérience.
S'il salue l'accueil critique, il déplore la rareté des rôles substantiels, l'obligation de passer par la figuration pour subsister, et des scénarios où le handicap demeure presque toujours le centre de l'intrigue – rarement l'un de ses aspects parmi d'autres.
Florie Carbonne, directrice de casting, a lancé un appel clair aux professionnels : "Il faut cesser de chercher des profils 'typiques' et commencer à proposer des rôles universels à des comédien·nes en situation de handicap, même lorsque le scénario ne le précise pas."
Le changement, selon elle, se joue dans les choix quotidiens de l'industrie.
Enfin, Olivier Couder, directeur du Théâtre du Cristal, a rappelé que la reconnaissance de la légitimité artistique des personnes handicapées reste un combat.
Un combat de terrain, mené depuis plus de trente ans, pour que la différence ne soit plus un obstacle, mais une richesse.
Malgré des avancées indéniables, les préjugés restent ancrés, tant dans l'imaginaire collectif que dans les pratiques de l'industrie.
Grâce à des figures comme Léopoldine Huyghues-Despointes, le travail de déconstruction a commencé avec force, mais il doit se poursuivre pour que le cinéma puisse enfin montrer, sans filtre ni fard, la diversité réelle du monde.
Un chantier urgent : former, insérer, transformer
La deuxième table ronde, animée par Alexia, a mis en lumière un autre enjeu majeur :
comment accompagner concrètement les professionnels en situation de handicap vers une formation et une insertion durables dans l'audiovisuel ?
Pierre Guennaz a livré un témoignage frappant sur les obstacles rencontrés lors de sa reconversion : formations inaccessibles, refus de modules pour des raisons logistiques, absence d'accompagnement dédié.
Un constat amer qui révèle le manque d'anticipation de nombreuses écoles.
C'est dans ce contexte qu'il a intégré la formation JARIS, un programme court et intensif, salué comme "une formation inclusive dans ce qu'elle a de plus concret et de plus humain."
Ce dispositif, basé au Plessis-Trévise, mise sur la pratique, l'adaptation pédagogique et les mises en situation réelles, offrant un cadre inclusif et des outils accessibles.
Samia Liou (AFDAS) a présenté les dispositifs d'accompagnement de son organisme, comme l'appui-conseil handicap et les aides à l'adaptation des contenus pédagogiques, des outils encore trop peu déployés.
Pascal Parsa (Audiens) a prouvé que l'inclusion est non seulement possible mais fructueuse, avec 16% de leurs collaborateurs en situation de handicap, bien au-delà du seuil légal de 6%.
Une preuve qu'une volonté politique forte et une organisation concrète peuvent faire la différence.
Audiens, acteur clé de la protection sociale dans la culture et les médias, œuvre activement pour l'insertion des personnes en situation de handicap.
Au-delà des forums emploi spécialisés, le groupe soutient et opère la Mission Handicap du spectacle vivant et enregistré.
Cette mission vise à accompagner les professionnels du spectacle – artistes et techniciens – confrontés à des problèmes de santé ou au handicap. Elle offre un soutien personnalisé pour la mobilisation des droits sociaux, l'évolution de carrière et la mise en relation avec des entreprises "handi-accueillantes".
Depuis 2020, cette initiative a déjà aidé des milliers de professionnels et d'entreprises, favorisant leur inclusion durable dans le secteur culturel.
Margot Algudo-Brzostek, régisseuse, a souligné le rôle fondamental, mais encore sans statut, du coordinateur régie handicap.
Ce poste clé assure le lien entre les artistes, techniciens, familles et les réalités du plateau, permettant d'adapter les rythmes, de sécuriser les espaces et de faciliter le travail de chacun sans compromettre la qualité artistique.
Damiano Fontana, réalisateur malentendant, a lancé un appel percutant : instaurer un référent inclusion-diversité sur chaque production.
Une figure de confiance, capable d'anticiper les besoins spécifiques, de garantir l'égalité d'accès et de créer un véritable travail collectif.
Jérôme Vélin, de la Fondation Perce-Neige, a insisté sur l'importance d'un environnement humainement favorable.
"On veut être une machine à bonheur," a-t-il déclaré, rappelant que l'inclusion ne doit pas être une contrainte technique, mais une dynamique positive, joyeuse et partagée qui bénéficie à tous.
Une dynamique fragile, un combat nécessaire
Cependant, cette dynamique prometteuse reste fragile. Si des dispositifs comme ceux de l'Afdas se développent, d'autres se sont retirés.
L'exemple le plus préoccupant est celui de l'Agefiph, qui ne finance plus les formations individuelles, concentrant son action sur le maintien dans l'emploi.
Les personnes en situation de handicap se retrouvent alors face à un parcours du combattant entre France Travail, Cap Emploi et les OPCO, sous des critères rigides.
Pire encore, la loi Pacte permet aux entreprises de se soustraire à leur obligation d'embauche de travailleurs handicapés en sous-traitant à des ESAT.
Si ces établissements peuvent accompagner certaines personnes, leur usage massif comme prestataires risque d'entretenir une forme de ségrégation professionnelle, éloignant les personnes handicapées de l'emploi ordinaire.
Un chantier urgent : former, insérer, transformer
L’inclusion ne doit plus être expérimentale. Elle doit devenir la règle. Une règle juste, assumée, structurée.
Et si ce chantier avance, c'est aussi grâce à des initiatives pionnières comme les Écrans Inclusifs. En rassemblant artistes, techniciens, institutions, syndicats et décideurs, cette première édition a permis d'ancrer la question du handicap au cœur des débats professionnels et politiques. Un grand merci à leur président, Julien Richard-Thomson, et à toute l'équipe organisatrice, pour avoir bâti cet espace de parole, d'écoute, de confrontation, et surtout de construction collective.
À Cannes, l'inclusion a désormais un visage, une voix, une scène. Le défi est maintenant de faire du Festival... un standard.
Cette association a pour but de redonner aux personnes handicapées, une parole volée trop souvent relatée avec un regard validiste. Promouvoir la place des personnes en situation de handicap sans discrimination.
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