BAD BOY BUBBY, la revanche des marginaux

Roven Kritchmar

Dimanche 10 Décembre 2023, à 11h30 au Reflet Médicis situé dans le “Quartier Latin” à Paris, un drôle de type au visage marqué par le temps présente au public une de ses anciennes créations afin d’accompagner son nouveau long-métrage en date : The Survival of Kindness.


Sorti en 1993, Bad Boy Bubby, porté par l’excellent Nicolas Hope, ne laisse pas indifférent. Il aura fallu 10 ans à Rolf de Heer pour accoucher du scénario, trouver le financement nécessaire et concrétiser sa vision. C’est à un producteur Italien qu’il doit l’aboutissement de ce projet atypique.

B.B.B débute par un mec taciturne, enfermé dans une cave, et rasé de près par une grosse femme. Sauf que nous ne sommes pas chez Fellini, ce serait plutôt du Pasolini. 


N’ayant jamais rien connu d’autres que ces 4 murs étroits, l’esprit de Bubby ne s’est jamais correctement développé. Il est resté dans un état infantile, à la limite de la déficience mentale. Et si je parle bien de “limite”, c’est parce que malgré ses lacunes, Bubby est curieux, intelligent et vif. Convaincu par sa mère que le monde extérieur est dangereux depuis qu’un virus mortel y a décimé la population, Bubby s’est résigné à ne jamais quitter son trou.


Ses journées sont rythmées par la maltraitance d’un pauvre châton, les abus sexuels de sa génitrice et l’isolement le plus total, surtout quand elle décide de sortir avec son masque à gaz, en interdisant à Bubby de bouger de sa chaise.

Bad Boy Bubby commence à la façon d’un drame sordide sur un homme sans dignité, ni sens moral jusqu’à ce qu'un événement imprévu le pousse vers la révolte. Il découvre dès lors une société paradoxale, à la fois gangrenée par la violence et capable de compassion envers les plus démunis. Bubby trouve sa voie dans la musique underground, en devenant le leader d’un groupe avant d’expérimenter l’amour auprès d’une infirmière qui aide les handicapés.


Bubby, né dans la fange et dans la brutalité, peut enfin acquérir un semblant d’humanité. Son regard similaire à celui d’un nouveau-né, ne juge personne et ignore tous des conventions de beauté. Lorsque deux prostitués aux corps sublimes tentent de l’exciter, Bubby les rejettent, car elles ne correspondent pas à ce qu’il a toujours connu et quand les parents de sa fiancée insultent leur propre fille ouvertement à cause de son surpoids devant Bubby, ce dernier prend sa défense sans arrière-pensée. C’est naturel, spontané. 


Rolf de Heer déjoue les pièges, les clichés entretenus par Hollywood et sa politique bien-pensante, en filmant Bubby sous le prisme de la fragilité, de l’ignorance. Ses meurtres sont accidentels et relèvent dans son esprit d’un acte de charité et pas d’une pulsion malsaine.


Au cours de son errance, Bubby intègre un groupe d’handicapés. Rolf de Heer m’a expliqué qu’il avait d’abord songé à filmer des enfants ce qui aurait été cohérent avec le thème du film et la personnalité de Bubby. Toutefois par peur de choquer les parents à la lecture du scénario et d’essuyer leur refus, De Heer a préféré choisir des adultes. De vrais infirmes donc qu’il a montrés dans leur état naturel sans tomber dans le misérabilisme et à qui il offre d’ailleurs une des plus belles scènes que j’ai vu au cinéma sur le sujet. 

Une des patientes tétraplégiques tombe amoureuse de Bubby qui hélas pour elle, n’éprouve pas les mêmes sentiments à son égard. La jeune fille pleure dans les bras du héros qui apprend de fait l’empathie. De Heer, explique que ce fût très compliqué de la tourner, que l’actrice ne parvenais pas à sangloter et qu’il était prêt à laisser tomber. Elle n’a rien voulu savoir, à insister encore et encore pour refaire la scène jusqu’à ce qu’elle puisse se lâcher. Elle a pensé à un soignant dont elle s’était amourachée et qui est parti du jour au lendemain. La fiction se confond avec la réalité.


Malgré les carences psychologiques de Bubby, personne en dehors de ses affreux parents ne va le traiter avec véhémence. Au contraire, il rejoint rapidement les musiciens et fait salle comble grâce à un numéro hallucinant où il imite tout ce qu’il a entendu et vu au cours de sa vie. L’horreur de sa situation, devient une sorte de jeu qui lui permet d’exorciser ses traumas et d’obtenir enfin la reconnaissance qu’il lui manquait. Plus l’intelligence et les émotions de Bubby s’accentuent, plus son environnement s’éclaircit.


Bubby peut sembler étrange et terrifiant de prime abord, or au fur et à mesure de ses rencontres, il nous émeut, nous fait rire, et élargit notre ligne d’horizon. Derrière ce rictus carnassier, se cache un cœur tendre. 

B.B.B est une jolie réflexion sur la tolérance qui se conclut dans un décor ouvert sous une lumière bucolique pour signifier tout le chemin parcouru par ce cher Bubby qu’on aimerait tous rencontré un jour. Et en cette époque difficile, il est rafraîchissant d’avoir un cinéaste traitant des différences sociaux et mentaux en toute simplicité.

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