L’un des premiers films à s’intéresser vraiment à la notion de “différence” et qui fera date dans le cinéma est Freaks de Todd Browning. Soit les mésaventrues d’une troupe de cirque composés entre autres d’un couple de liliputiens, d’un homme tronc, d’une femme à barbe ou encore d’une personne atteint de microcéphalie (une malformation congénitale rare caractérisée par une croissance anormalement faible du crâne et du cerveau). Tous sont filmés tels qu’ils sont vraiment, ni maquillage, ni prothèse. D’authentiques saltimbanques habitués à s’exposer tels des bêtes de foires pour gagner leur vie. Un geste fort qui va choquer les mentalités de l’époque et contribuer à faire de Freaks le classique qu’il est aujourd’hui.
Baignant dans un noir et blanc délavés, on nous invite à découvrir les capacités spécifiques de chaques freaks, leur tour fetiches et leur rôle dans le cirque. Le long-métrage débute par un carton annonçant le titre qui est ensuite déchiré par un Monsieur Loyal énergique. Les barrières de la fiction s’effondrent. Freaks devient métatextuel. (La métatextualité appelle l’attention du lecteur sur le fonctionnement de l’artifice de la fiction, sa création, sa réception et sa participation aux systèmes de signification de la culture). En bon tribun, le narrateur met en garde sur ce que le public va découvrir. Léger traveling latéral qui accompagne les spectateurs jusqu’à un trou où quelqu’un de l’assistance hurle d’effroi sans que l’on comprenne pourquoi. Le Narrateur résume succinctement les enjeux de son récit : une femme autrefois sublime dont le sort peu enviable serait lié à une histoire d’amour tragique. Fondu enchainés sur la jeune femme en question, trapezistes et dont la beauté semble être une source de conflit entre deux liluputiens.
Freaks est davantage une série de scénettes reliée par un fil rouge (Triangle tragic/romantique) qu’un film parfaitement linéaire. Ce n’est qu’à la toute fin avec ce twist que je ne révélerais pas ici, que Todd Browning dévoile ses intentions véritables. Il ne cherche pas à s’adonner au voyeurisme à l’instar de ces aristocrates qu’il renvoie à leur propre médiocrité. Freaks dépasse largement le cadre du show filmé, du message ambigu et hypocrite sur l’acceptation de la différence alors qu’on traite les membres du cirques tels des animaux. Si vous voulez voir un film qui n’a rien perdu de sa verve et qui était en avance sur son temps, ne ratez pas Freaks.